Média et liberté d’expression

On le sait aujourd’hui, après le pouvoir exécutif, législatif et
judiciaire, le quatrième pouvoir du « monde libre » est celui des
médias. Durant ces dernières années, on est en droit de se
demander d’ailleurs si l’ordre est bien correct…
Un journaliste américain qui commentait la chute du mur de Berlin
annonçait aux téléspectateurs : « Vous voyez l’histoire se
faire sous vos yeux ». En un sens, certains pourraient
en être satisfaits : l’intermédiaire n’existerait plus et
l’objectivité serait ainsi totale. Cependant, rien n’est moins
vrai. Si l’on tend à réduire la médiation en nous faisant vivre
l’histoire sous nos yeux, il faut se poser certaines questions :
pourquoi nous donner cette information et pas une autre ?
Pourquoi est-elle traitée sous cet angle ? Pourquoi serait-ce
l’événement essentiel ?
La force de l’image, on le sait, influe directement sur nos
stimulus intellectuel et (surtout) émotionnel. En ce sens, le choix
des images joue un rôle primordial sur la vision du monde qu’on
voudrait nous faire adopter, sur les valeurs censées être essentielles, sur de simples faits divers qui seraient, dit-on,
emblématiques et deviendraient de véritables questions de société.

vendredi 4 mai 2007

Aujourd’hui, les médias écrits et audio-visuels exercent une véritable emprise sur les consciences tout en étant eux-mêmes sous la domination totale des grandes oligarchies économiques et financières. Ceux qui dessinent et décident le monde sont les mêmes que ceux qui
l’informent. Comment ces médias peuvent-ils nous informer en toute objectivité des orientations économiques et politiques qui sont décidées par les grands groupes industriels et financiers auxquels ils appartiennent ? Ce qui fonde une démocratie est la séparation totale du législatif et de l’exécutif afin qu’il n’y ait pas de concentration de pouvoir entre ceux qui disent la loi et ceux qui sont en charge de la faire appliquer.Dans une même mesure, quelle démocratie peut-on espérer quand il n’y a plus de séparation entre ceux qui font et orientent l’opinion et ceux qui font et orientent les politiques économiques et financières ? Certains médias indépendants tentent difficilement de jouer leur véritable rôle de contre-pouvoir mais ils sont minoritaires et en passe de disparaître – il n’y a qu’à voir ce que l’on fait de la revue Politis, un des rares hebdomadaires critiques envers les effets néfastes de la mondialisation. Pourtant ces rares médias mettent efficacement en évidence le conditionnement réel (voire permanent) dont est l’objet le citoyen.

Il ne s’agit évidemment pas d’avoir des médias « neutres » mais
plutôt de faire accéder le citoyen à une information qui lui permettra
de se faire une opinion la plus indépendante possible. Or, aujourd’hui, tel n’est pas le cas, l’information est biaisée, traitée et re-traitée de façon à lui donner une orientation précise qui correspond aux intérêts des « dominants ». Le citoyen n’est plus informé de manière objective car son relayeur (le média) a perdu sa fonction première d’informer, d’offrir au citoyen la capacité de se créer une opinion propre.

Deux exemples : De la révolte des
banlieues à l’affaire des caricatures

Un an après la révolte des banlieues de l’automne 2005, toutes les télés, les radios et les journaux ont tenu à recréer l’événement à travers cette date anniversaire, quitte à relancer les tensions. On se souvient aussi le 4 octobre 2006 de la mise en scène orchestrée par les services du ministère de l’intérieur donnant l’occasion à la « meute médiatique » d’assister caméra au poing aux arrestations
musclées dans les cités des Mureaux. Le show légitime la politique
sécuritaire dans lequel les médias et les politiques sont en fait les
principaux acteurs. Populations des cités et policiers n’en sont que
les figurants. On fait peu de cas de la réalité de la situation dans
les quartiers populaires, l’important est d’avoir un sujet à couvrir,
une actualité chaude, immédiate et consommable. Il s’agit, si
nécessaire, de créer et de recréer l’événement à l’envi. Vendre de
l’insécurité pour que le citoyen cherche et apprécie à tout prix sa
propre sécurité, même aux dépens de ses libertés.

Et, dans l’ère de la consommation de masse, ce cercle vicieux est
porteur : l’information, considérée comme une marchandise
comme une autre, se vend et détermine notre comportement de
consommateur. Car, il faut le dire, qui n’a pas regardé son écran de
télévision avec un mélange de peur et de fascination lors des
événements d’octobre 2005, tout en remerciant le ciel de ne pas
habiter ces quartiers « dangereux » ? Les médias n’ont que trop
bien compris les besoins des consommateurs d’information et ils y
ont répondu avec brio, leur donnant tous les éléments dignes d’un
film hollywoodien en partenariat étroit avec les services du Ministre
de l’intérieur. L’objectif est atteint : entretenir la peur, justifier les
politiques sécuritaires, restreindre les libertés, détourner l’attention
des véritables enjeux économiques et politiques qui se décident
sans les citoyens et, agenda électoral
oblige, faire encore de la
sécurité l’enjeu majeur des
élections prochaines.

Entre les intérêts économiques
et financiers des uns, les
manipulations politiciennes des
seconds et la volonté de
« marchandiser » l’information,
on peut légitimement se
demander quel espace il
reste réellement pour la liberté d’expression.

On en a pourtant beaucoup parlé lors de la très célèbre affaire des
caricatures danoises (puis françaises) et de l’affaire Redecker. Il
est tout de même surprenant que cet enjeu de société apparaisse
uniquement et ponctuellement à l’occasion de ces « affaires » alors
que le mal est beaucoup plus profond. L’institution médiaticopolitique
avec son cortège d’intellectuels « bien-pensants » voudrait
faire croire au « bon peuple » que ce sont ces dangereux
« islamistes » qui mettraient en danger la liberté d’expression de
nos médias. Choc de deux cultures, l’une qui accepterait la liberté
d’expression, l’autre qui ne la supporterait pas. Simpliste et facile…
Le débat citoyen sur l’indépendance de nos médias est ainsi
réorienté ; pour d’autres, il n’a même plus lieu d’être.

Avec les événements du 11/9, cette théorie du « choc des
civilisations » prend tout son sens : elle justifie tous les raccourcis,
toutes les simplifications et permet de concentrer l’attention de
l’opinion publique sur les faux-débats afin que d’autres s’emparent
des vraies questions et décident sans les citoyens.


Médias et citoyens : notre rôle

Il ne s’agit pas de faire de la diabolisation gratuite, bien des
journalistes exercent aujourd’hui leur profession de manière
honorable et objective. Néanmoins, combien avons-nous entendu
de journalistes dire que pour vendre leur sujet, ils devaient
édulcorer, ajouter du sensationnalisme ou travestir la vérité ?

Les médias ont, certes, leur part de responsabilité, mais ils ne font
bien souvent que répondre à une demande. Il s’agit aujourd’hui de
sortir d’une torpeur intellectuelle qui nous pousse à la
consommation excessive et irréfléchie d’information. L’image en
ce sens est notre premier ennemi car elle est notre plus grande
fascination. Or, on sait combien elle peut influencer et manipuler les
consciences.

Au-delà, il s’agit aussi de doubler nos sources d’information, d’avoir
une conscience critique et objective. En tant que citoyen, qu’acteur
de notre société ou consommateur de ses produits, il faut exiger la
qualité d’une information fiable, raisonnée et réaliste, loin des
calculs économiques et des exigences politiciennes.

Les promoteurs du lien

Mais il faut aussi et surtout que nous soyons les porteurs de cette
information, refuser les simplifications, parfois les mensonges et
trop souvent les manipulations qui nous déchirent tant. La paix
sociale et culturelle est à ce prix. Aujourd’hui, il faut dénoncer le
jeu ouvertement provocateur qui tend à rallumer les
banlieues qui sont toujours dans une situation
aussi désastreuse, non pour étouffer le problème mais pour le montrer sous son angle réel.

Face aux médias qui font croire que beaucoup d’habitants de ces cités sont de violents délinquants, il faut dire que la
violence physique est malheureusement la seule réponse que ces jeunes ont trouvé pour faire face à la
violence morale et institutionnelle quotidienne dont ils sont victimes de la part des pouvoirs publics
qui les négligent ou les répriment, des marchés du travail et du logement qui les discriminent,
de leur environnement insalubre révélateur de la considération qu’on leur porte. Sans
condamner ni cautionner, les medias ont pour rôle de devoir rétablir la
parole de chacun et de faire comprendre la réalité des
existences dans de tels quartiers.

Face à la théorie du choc des civilisations, les médias
doivent sans cesse chercher à être les promoteurs du
respect mutuel. Dire l’autre, c’est le montrer dans ce
qu’il est vraiment, pas dans ce qu’on voudrait qu’il soit,
ni dans le rôle qu’on voudrait lui faire jouer. Bon nombre
de journalistes ont compris qu’ils étaient un lien essentiel
dans la cohésion de notre société et qu’ils pouvaient être
les promoteurs du vivre-ensemble. Néanmoins, ils sont
encore trop peu, et c’est le corps médiatique dans son
ensemble qui doit faire preuve d’une autocritique sérieuse
dans ce sens. Ils doivent jalousement garder ce qui fait le ciment de leur discipline : la liberté, l’objectivité, l’esprit civique, et l’indépendance
surtout.

Notre façon de consommer l’information déterminera leur manière de la traiter, indiscutablement. Encore faut-il nous-mêmes faire cet effort
de réflexion critique. Le défi à ce niveau est de taille, mais il est le prix du changement et du refus du conditionnement et de la soumission.
Ainsi, et ainsi seulement nous pourrons espérer avoir une société libre, indépendante et clairvoyante.

Yamin MAKRI

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